« One chord is fine. Two chords are pushing it. Three chords and you’re into jazz. » disait Lou Reed. Au-delà de la blague, on peut retenir des épisodes précédents que les exemples de chansons à un ou deux accords ne sont finalement pas si nombreux.
Mais avec un troisième accord tout un nouveau monde s’ouvre, et des milliers de chansons existent.
Ils constituent la base de la plupart des chansons de country (« Country music is three chords and the truth. » – Harlan Howard, compositeur de musique country), du blues et du rock and roll des débuts (« A blues / rock guitarist plays three chords in front of thousands of people, and a jazz guitarist plays thousands of chords in front of three people. »), et d’un nombre incalculable de tubes.
Mais alors quels sont ces fameux trois accords, ceux qui font les hits ? Et comment les utiliser ?
Si vous voulez tout savoir sur les accords, lisez au préalable l’épisode 0 de cette série.
Le Fa, le troisième accord par excellence (en Do majeur)
Nous avons vu dans l’épisode précédent que les deux principaux accords sont les degrés I (tonique) et V (dominante). En Do majeur (les touches blanches du piano), il s’agit des accords de Do majeur et de Sol majeur.
Dans la plupart des cas, si l’on doit se limiter à trois accords, alors le choix du troisième accord se portera sur le degré IV, aussi appelé sous-dominante. Il s’agit du troisième (et dernier) accord majeur de la tonalité majeure. En Do majeur, il s’agit du Fa majeur.
Résumons ce que l’on a vu jusqu’à présent :
- Degré I (ici : Do majeur) : tonique ou « home chord », point de repos et de résolution, ne crée pas de tension.
- Degré V (ici : Sol majeur) : dominante, beaucoup de tension, appelle une résolution (vers la tonique).
- Degré IV (ici : Fa majeur) : sous-dominante, un peu de tension, appelle une résolution mais moins fortement que le degré V.
Leur importance vient également du fait que ces trois accords couvrent toutes les sept notes de la tonalité. Ainsi, chaque note de la mélodie se trouve dans au moins un de ces trois accords.
Les comptines avec ces trois accords
Ces trois accords sont tellement essentiels à notre musique qu’ils sont pratiquement la norme pour les comptines.
Voici quelques exemples, sur lesquels je ne m’attarde pas trop car vous pourrez bientôt les découvrir plus en détail avec les partitions simplifiées et les tutoriels izikub.
Un peu d’histoire
Le blues, la folk et la country utilisent quasi exclusivement ces trois accords. Le rock and roll est apparu vers la fin des années 40 / début des années 50, dans la continuité de ces genres. Il utilisait donc également ces trois accords à ses début.
Puis au milieu des années soixante, des groupes comme les Beatles ou les Beach Boys ont rendu populaire un rock aux structure plus complexes, ouvrant la voie à de nombreux nouveaux genres musicaux. Les chansons uniquement basées sur ces trois accords sont alors devenues moins présentes. Néanmoins elles continuent (et continueront) d’exister.
Mais alors, comment les utiliser ?
Devinette
Qu’ont en commun les morceaux suivants (au-delà du fait qu’ils utilisent ces trois accords) ?
Avez-vous trouvé ?
Ils ont tous la même structure, la même suite d’accords, héritée du blues.
Le blues à 12 mesures (12-bar blues)
Il existe tellement de structures et de chansons différentes avec ces trois accords que j’ai choisi de n’aborder qu’un seul cas : le blues à 12 mesures (« 12-bar blues » en anglais).
J’ai choisi de vous présenter cela car pour moi cela a été une double révélation.
D’abord celle de découvrir le nombre de chansons l’utilisant sans que je m’en sois rendu compte avant. Et vous aussi vous le connaissez. C’est là toute sa force : on le connaît instinctivement, sans s’en rendre compte. Les chansons qui l’utilisent nous sont donc immédiatement familières sans même que l’on sache pourquoi.
Mais surtout cela m’a ouvert les yeux (ou plutôt les oreilles) sur les fondements de la tonalité, car tous les éléments essentiels sont présents dans cette structure. La comprendre, la ressentir, vous donnera les clés pour comprendre quasiment tout le reste. Et en plus c’est assez simple !
Pour la suite, je vous propose de prendre pour exemple Les Cactus de Jacques Dutronc, car c’est une chanson connue, en français, et qui respecte bien cette structure. Pour vous la remémorer, je vous propose une super reprise par les géniaux Alex Turner (Arctic Monkeys) et Miles Kane.
Le blues à 12 mesures est constitué de 3 phrases de 4 mesures chacune (une mesure est une unité de durée en musique, très souvent de 4 temps). Les chansons basées sur cette structure répètent ces 12 mesures tout au long du morceau, sans notion de couplet ou de refrain.
Voici cette structure :
La première phrase est très simple : elle installe la tonalité du morceau en utilisant uniquement le degré I (« home chord »). Le chant consiste en général en une phrase : « Le monde entier est un cactus, il est impossible de s’assoir ».
La deuxième phrase est similaire à la précédente, mais pour éviter la répétition, on commence par créer une première tension en s’éloignant un peu de la « maison » grâce au degré IV, pour y revenir ensuite sur la seconde moitié de la phrase. Dans le blues, le chant répète en général la même phrase que la première. Dans notre exemple elle n’est pas identique mais elle complète la première : « Dans la vie, il y a qu’des cactus, moi je me pique de le savoir ».
La troisième phrase vient conclure la structure. Elle commence par créer une forte tension en s’éloignant encore plus de la « maison » avec le degré V. Puis très vite on diminue un peu la tension en retournant progressivement vers la maison avec le degré IV. On résout ensuite toute la tension juste avant la fin en revenant au degré I. Et pour la toute fin, il y a deux possibilités :
- Soit on reste sur le degré I.
- Soit on réalise un « turnaround », une toute dernière très forte tension avec le degré V, dans le but d’appeler intensément un retour au degré I, qui arrivera lorsque l’on recommencera la structure.
On retrouve ce turnaround dans Les Cactus, qui en plus joue cette dernière mesure de manière particulière pour accentuer encore plus cette tension finale. Le chant est en général une phrase nouvelle, qui conclut le propos. Ici : « Aïe aïe aïe! Ouille! Aïe aïe aïe! ».
Je vous propose ci-dessous une vidéo qui résume cela en musique.
Variante : le blues mineur
On peut reprendre la même structure et jouer les accords en mineur. Mais comme nous l’avons vu à l’épisode précédent, on privilégiera dans ce cas le degré V majeur, pour créer la tension maximale. Les accords sont alors le degré i (mineur), le degré iv (mineur) et le degré V (majeur). Toujours en Do, cela donne : Do mineur, Fa mineur et Sol majeur.
Cette structure mineure fonctionne bien, mais la plupart du temps les blues mineurs ont un changement sur la troisième phrase comme vous pouvez le voir ci-dessous. On remarquera que le nouvel accord bVI (La bémol majeur : Lab, Do et Mib) est proche de l’accord iv (Fa mineur : Fa, Lab et Do) puisqu’ils ne diffèrent que d’une seule note.
Un grand classique du blues mineur : The Thrill Is Gone, popularisé par B.B. King
On retrouve la structure classique du blues :
- Première phrase, installant le propos : The thrill is gone ; The thrill is gone away.
- Deuxième phrase, reprenant la première, avec un petite variation : The thrill is gone, baby ; The thrill is gone away.
- Troisième phrase, concluant la séquence : You know you done me wrong, baby ; And you’ll be sorry someday.
Un autre classique : Why Don’t You Do Right? (avec une structure un peu complexifiée).
Je vous propose une belle reprise en clin d’œil à Jessica Rabbit (du film Qui veut la peau de Roger Rabbit).
- Première phrase, installant le propos : You had plenty money 1922 ; You let other women make a fool of you.
- Deuxième phrase, complétant la première : Why don’t you do right? Like some other men do.
- Troisième phrase, concluant la séquence : Get out of here and get me some money too.
On retrouve également un bref blues à 12 mesures mineur dans l’introduction instrumentale du Temps De L’amour de Françoise Hardy. La suite du morceau conserve les trois mêmes accords, mais avec d’autres structures.
Et si je veux faire de la musique mais pas du blues ?
Effectivement je vous ai présenté une structure un peu désuète dans la mesure où le blues n’est plus vraiment à la mode, et n’est pas non plus l’inspiration directe des genres à la mode actuellement.
Mais le but n’est pas tellement de comprendre le blues, mais de comprendre les interactions entre ces trois accords. Et dans cette structure toute simple on a les principales possibilités d’enchaînement de ces accords, avec ce qu’elles produisent comme effet. C’est pourquoi il est très utile de la comprendre, pour pouvoir en réutiliser certains ingrédients (que l’on retrouve absolument partout).
Ami(e)s musicien(ne)s : apprenez ces trois accords dans plusieurs tonalités !
Comme nous l’avons vu, on retrouve ces trois accords (voire plus) dans énormément de chansons, et en particulier dans la plupart des tubes. Ils sont tellement fondamentaux qu’il faut absolument les connaître par cœur pour les tonalités habituelles de votre instrument.
Par exemple, à la guitare, il faut au moins connaître ces accords pour les cinq tonalités d’accords ouverts (cf. ci-dessous). Pour les autres tonalités, il suffit de décaler la tonalité de Mi ou de La avec des barrés (ou d’utiliser un capodastre).
Il faut les connaître par cœur pour deux raisons principales.
La première est de pouvoir instantanément se créer un accompagnement dans n’importe quelle tonalité, sur la base de ces trois accords, et des ingrédients que nous avons vu dans cet épisode et le précédent.
La seconde raison est de pouvoir identifier la tonalité d’un morceau en reconnaissant ces accords. Quand on trouve une suite d’accords sur internet ou à l’oreille, on ne sait pas toujours quelle est la tonalité du morceau. Or il est toujours bon de contextualiser et de comprendre le morceau, plutôt que de simplement le reproduire. De plus, quand on le comprend un morceau, on le mémorise bien plus facilement. Et cela permet également d’improviser.
Et pour finir, peut-on choisir un autre accord que la Fa majeur ?
Évidemment, mais quand on parle d’une chanson à trois accords, ce sont en général toujours les mêmes, ceux dont nous avons parlé.
Il y a deux exceptions notables.
Tout d’abord le jazz, qui utilise fréquemment les degrés I (Do majeur), ii (Ré mineur) et V (Sol majeur). Néanmoins quand on regarde les notes de Ré mineur (Ré, Fa et La), on constate qu’il a deux notes en commun avec le Fa majeur (Fa, La et Do). On a donc remplacé le Fa majeur par le Ré mineur, qui sont des accords proches.
Ensuite le classic rock. Prenons l’exemple de Satisfaction des Rolling Stones. Quand on regarde les accords, on voit La majeur, Ré majeur et Mi majeur. On pourrait donc conclure que le morceau est en La majeur (cf. ci-dessus). Et pourtant ce n’est pas le cas : le morceau est en Mi (blues ou mixolydien).
Cela vient du fait que dans le blues, on part d’un mode majeur (Mi ici) et on emprunte des notes et des accords au mode mineur associé. On a ainsi les degrés I (Mi majeur) et IV (La majeur) du mode majeur, auxquels on ajoute le degré bVII (Ré majeur) de la tonalité de Mi mineur. Au final, cela revient à utiliser les trois mêmes accords que ceux que l’on a vu, mais en décalant les degrés, ce qui créé une atmosphère différente, plus blues justement.
À vous de jouer !
Pour composer un accompagnement sur trois accords, utilisez par exemple les ingrédients du blues à 12 mesures. Privilégiez le degré I, et utilisez les degrés IV et V pour créer différentes tensions.
Vous avez plus haut la liste de ces trois accords dans quelques tonalités usuelles. Lancez-vous et utilisez-les pour jouer ou composer une chanson !
La suite au prochain et dernier épisode, avec les quatres accords qui ont aussi fait des milliers de hits !
izikub : la boîte à musique des petits créatifs !
izikub est un jeu d’éveil musical qui permet à l’enfant d’expérimenter facilement différentes combinaisons d’1, 2, 3 ou 4 accords, pour lui permettre de créer très facilement ses propres musiques.